Le mini-référendum de Gary Bettman

Denis Coderre (le maire) et Denis Coderre (l’amateur de sport) vont s’asseoir tous les deux lundi soir pour voir ce qui se passe à Calgary.

Il y aura là une sorte de mini-référendum sur le financement public des équipes de sport professionnel. Et de quoi réfléchir à l’« acceptabilité sociale » du financement d’un futur stade.

Le maire Naheed Nenshi joue sa réélection sur plusieurs enjeux, mais le financement du nouvel amphithéâtre des Flames est au cœur de tous les débats. Insulté de se faire offrir « seulement » 185 millions par la Ville de Calgary, le propriétaire de l’équipe de hockey a mis fin aux négociations avec les fonctionnaires. La Ville propose pourtant un financement du tiers par les contribuables de Calgary, un tiers par l’équipe et un tiers par une surtaxe sur les billets – avec un terrain au centre-ville et la destruction du vieil amphithéâtre en prime. L’équipe réplique qu’une surtaxe sur les billets, c’est comme une contribution supplémentaire de l’équipe. Elle veut en plus qu’on lui donne des terrains pour faire du développement immobilier.

Sinon ? Ben sinon, ces pauvres gens seront incapables de soutenir plus longtemps leur équipe dans le vieux Saddledome (de 1983). La menace d’un déménagement plane donc sur la ville.

Jusqu’ici, rien que de très classiques manœuvres de chantage qui ont fait la fortune ou le divertissement de milliardaires-propriétaires d’équipes de sport et la ruine de bien des municipalités aux États-Unis – dans certaines villes, les citoyens paient encore des édifices démolis.

Citoyen, tu payes mes dépenses, je garde les profits, sinon j’en trouve d’autres, le pays est plein d’accros au sport-spectacle. On connaît le refrain.

Bon.

Ce qui est particulièrement répugnant cette fois-ci, c’est que le commissaire de la LNH, Gary Bettman, est allé à Calgary en personne en pleine campagne électorale pour plaider la cause de l’équipe de hockey, il y a un mois. Tout en disant qu’il ne se « mêle pas de politique », bien entendu.

Il y a deux semaines encore, il donnait une entrevue au Calgary Post où il disait que la proposition de la Ville n’émanait pas « du monde réel » et allait mener à la faillite des Flames un jour…

D’après le maire Nenshi, Bettman lui a dit dans une discussion privée que s’il échouait dans une négociation, ce serait la « fin de sa carrière politique » et qu’il allait « détruire Calgary ».

Ce sympathique Gary. Le comique de l’affaire est que les médias répètent sans cesse qu’un des problèmes politiques de Nenshi est son « arrogance »…

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Nenshi, un immigré tanzanien diplômé de Harvard, est le premier maire musulman d’une grande ville au Canada et a longtemps été extrêmement populaire.

Mais après deux mandats, dans une économie au ralenti, il est sérieusement menacé par l’homme que les conservateurs soutiennent, Bill Smith. Smith est resté évasif sur le sujet et il est exagéré de parler d’un référendum. N’empêche que la réélection de Nenshi enverrait un petit avertissement. Pas à Gary Bettman, mais aux politiciens qui rêvent de sport professionnel et qui sont prêts à y engloutir sans compter l’argent des taxes prétendument pour le rayonnement de leur ville.

Gary Bettman, lui, n’est pas en peine. Déjà, Seattle construit un tout nouvel amphithéâtre. Kansas City en a un flambant neuf qui ne fait rien. Sans parler de Québec, qui poireaute toujours, aux frais du contribuable. Non, ne parlons pas de Québec, on serait obligés de dire que Bettman nous a tous roulés dans la farine, qu’on ait été pour ou contre le financement de ce centre « multifonctionnel » auquel il manque toujours la fonction principale…

Il faut, pour qu’un chantage soit crédible, des plans B. Des lieux pour jouer les marchés les uns contre les autres, prêts pour un camion de déménagement.

Le même Gary Bettman, pourtant, annonce fièrement des revenus records pour la Ligue nationale. Ils atteignent près de 4,5 milliards de dollars américains. Les contrats de télévision sont plus lucratifs que jamais. Mais apparemment, les équipes sont incapables d’être rentables si elles doivent financer leur amphithéâtre en dehors de marchés importants (New York, Toronto, Montréal…). C’est dans leur « modèle d’affaires ». Elles sont dopées aux taxes.

La ligue la plus riche du monde, la NFL (avec des revenus de plus de 14 milliards), a pompé 5 milliards de fonds publics dans la construction de stades depuis 25 ans aux États-Unis.

Dernier coup fumant : le Nevada va débourser 750 millions pour attirer les Raiders d’Oakland, dont on ne compte plus les délocalisations.

On dira que bien des industries sont subventionnées, des jeux vidéo à l’aéronautique. Sans doute, et il y a là aussi matière à débat.

Il y a néanmoins quelque chose d’odieux à financer à même l’argent public quelques centaines de joueurs multimillionnaires. Sans subvention, le sport professionnel serait parfaitement rentable quand même – mais les salaires devraient être moindres.

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Ce qui est vrai pour le hockey l’est aussi pour le baseball, où les salaires sont nettement plus élevés – 36 joueurs y gagnent plus de 20 millions par année. Le joueur de hockey le mieux payé touche un maigre 13,8 millions.

Si le jour vient où de nouveaux Expos tenteront de revenir en ville, combien nous demandera-t-on ? Quelle est la somme à peu près rationnelle que Montréal pourrait avancer ? La réponse économique est approximativement : pas grand-chose. La réponse des électeurs risque d’être : encore moins. La réponse politique ? On sait que le maire rêve de sports en général et de baseball en particulier. Ça influence son boulier, comme on l’a vu dans la Formule électrique.

L’opposante au maire Coderre, Valérie Plante, est en terrain sûr quand elle propose un référendum avant tout investissement public pour le baseball. Ça ne passe tout simplement plus dans une opinion surtaxée qui se fait dire qu’il faut vivre selon ses moyens quand il manque d’autobus. Aussi bien dire qu’elle est contre, mais ça ne coûte rien à promettre.

Peut-être que la réélection de Nenshi instillerait un début de bon sens dans ce système de marchandage public. Juste un tiers de bon sens, mettons.

On peut rêver, non ?

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